Comment les fintech améliorent l’inclusion financière en Afrique

Par : Emiliano Tossou

Date de création : vendredi, 25 février 2022 16:26

Date de modification : 25 février 2022 17:34

Le 16 février 2022, la fintech Flutterwave, fondée par les Nigérians Olugbenga Agboola et Iyinoluwa Aboyeji, a annoncé la clôture d’un tour de table de série D qui lui a permis d’obtenir 250 millions $ auprès des investisseurs. Cette opération a également porté la valorisation de la société à 3 milliards $, ce qui en fait la start-up la mieux valorisée d'Afrique. Tout un symbole qui témoigne de la domination des fintech dans le paysage des sociétés technologiques en Afrique. Le deuxième épisode de la série que vous propose We Are Tech sur la transformation digitale africaine s’intéresse à ce dynamisme qui fait progressivement de l’inclusion financière une réalité sur le continent.

2021, l’année de tous les records

Pour évaluer le succès des jeunes pousses technologiques dans un secteur d’activité, nous avons entre autres comme indicateurs le montant et la fréquence des investissements qu’elles obtiennent. Et si l’Afrique bénéficie de plus en plus de l’intérêt des investisseurs, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Ce sont en effet les fintech qui obtiennent largement les faveurs des investisseurs et 2021 n’a pas dérogé à la règle, bien au contraire.

Au cours de cette année record pour les start-up africaines, qui a vu les investissements mobilisés passer de 1,4 milliard $ en 2020 à 5,2 milliards $ (+264 % en glissement annuel), selon les données de Partech, le secteur de la fintech a vu aussi sa part du gâteau grossir davantage. D’une part, les sociétés de technologie financière ont attiré environ 3,28 milliards $ en 2021, une progression de plus de 800 % en un an. Cette somme représente 63 % du montant total levé par les start-up africaines durant l’année, en nette augmentation par rapport aux 25 % de 2020.

La dynamique a continué en ce début d’année 2022, avec les sociétés fintech qui ont obtenu plus du quart (25,3 %) des 419 millions $ mobilisés par les start-up africaines en janvier, d’après les données d’Intelligence by Techpoint. En dehors des levées de fonds record, l’année 2021 a été marquée aussi par l’arrivée de nouvelles start-up dans le cercle restreint des licornes (start-up valant au moins 1 milliard $) actives en Afrique. Preuve de la domination des fintech, quatre des cinq nouveaux arrivants appartiennent à ce secteur, en l’occurrence Flutterwave, OPay, Chipper Cash et Wave.

Le rôle de la pandémie

La progression de ces sociétés traduit aussi l’intérêt croissant des investisseurs pour les fintech, car, là où il a fallu plus d’une décennie à leurs prédécesseurs Fawry (Egypte) et Interswitch (Nigeria), les nouvelles licornes n’ont eu besoin que de trois à cinq ans pour obtenir le même résultat. Le rôle de la pandémie de Covid-19 dans cette évolution n’est pas à négliger, car si elle a eu un impact négatif sur plusieurs entreprises, la crise sanitaire a permis aux solutions technologiques de progresser fortement. Profitant des restrictions et de la limitation des interactions humaines, les plateformes de commerce en ligne se sont développées, et avec elles les solutions de paiement proposées par les fintech du continent.

Notons que cette situation n’est pas propre à l’Afrique où les fintech profitent d’un besoin considérable pour les solutions de paiement, d’envoi et de transfert d’argent. Dans les zones économiques d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale (UEMOA et CEMAC), par exemple, le taux de bancarisation (correspondant à la proportion de la population titulaire d’un compte bancaire) était encore inférieur à 20 % en 2020, d’après des sources concordantes, et témoigne de l’accès restreint des populations de ces deux régions aux services financiers.

La situation est meilleure au Nigeria, pays le plus peuplé du continent, mais selon la BAD, 55 % des Nigérians vivant en milieu rural n’ont toujours pas accès aux services financiers. L’intérêt des investisseurs pour les fintech actives dans la première économie du continent n’est d’ailleurs pas surprenant compte tenu des larges parts de marché restant à conquérir. Le taux d’adoption du Mobile Money n’y est en effet que de 4 %, précise la BAD. D’autres facteurs comme l’insuffisance ou les coûts élevés des moyens de paiement, pour les échanges commerciaux et les transferts d’argent intra-africains, ont aussi facilité le développement des fintech sur le continent, plus que partout ailleurs dans le monde. Une statistique relative au Mobile Money illustre d’ailleurs parfaitement cette particularité bien africaine. En 2021, la région comptait en effet 548 millions de comptes, soit près de la moitié des 1,2 milliard de comptes au niveau mondial. Sur les 767 milliards $ échangés dans le monde la même année par ce moyen, l’Afrique a représenté 490 milliards $, soit environ les deux tiers.

L’exemple Flutterwave

Cofondée en 2016 par celui qui est surnommé le prince de la fintech africaine (Olugbenga Agboola), Flutterwave a atteint le statut de licorne en mars 2021, en clôturant une levée de fonds de 170 millions $. Moins d’un an plus tard, la société a triplé sa valeur et est devenue en février 2022 la start-up africaine la plus valorisée avec 3 milliards $. Spécialisée dans le traitement des paiements, Flutterwave met à disposition des entreprises, qu’il s’agisse de grandes boîtes ou de PME, des interfaces de programmation d'application (API) pour la création de plateformes de paiement personnalisables. Couvrant 33 pays africains, la start-up revendiquait à la mi-2021 le traitement de 140 millions de transactions pour 290 000 entreprises pour un montant total de 9 milliards $, à travers 150 devises et de multiples modes de paiement. Flutterwave propose en effet, en plus d’un portefeuille mobile accessible via une application pour l’envoi et le transfert de fonds ainsi que les paiements, une application dénommée Barter by Flutterwave. Elle permet, entre autres, la création de cartes virtuelles en dollars, sans passer par une banque traditionnelle, pour les achats en ligne et le paiement d’abonnements.

Au plus fort de la pandémie, en 2020, la société a même lancé une boutique (Flutterwave Store) pour permettre aux commerçants de vendre leurs produits et recevoir les paiements grâce à sa plateforme. En novembre dernier, le service qui comptait plus de 30 000 commerces s’est agrandi avec le lancement de Flutterwave Market. Une nouvelle opportunité de tirer profit d’un marché du commerce électronique africain qui devrait atteindre 29 milliards $ cette année selon la plateforme de données statistiques, Statista.

« Depuis le lancement réussi de Flutterwave Store, nous avons écouté nos clients et agi en fonction de ce dont ils ont besoin pour faire évoluer leurs entreprises. Le lancement de la nouvelle place de marché va transformer leurs activités […] Nous ne nous contentons pas de regrouper les magasins existants, nous les positionnons de manière à ce qu'ils réalisent davantage de ventes », assure Olugbenga Agboola, cofondateur et DG de la société.

Fort du succès des services qu’elle a lancés jusqu’ici, Flutterwave voit grand en 2022 et pour les années à venir. Elle veut consacrer les 250 millions de dollars de son financement de série D à la conquête de nouveaux marchés, aussi bien en Afrique subsaharienne que dans le Nord du continent. Des partenariats sont également envisagés, comme celui conclu l’année dernière avec l’américain PayPal. L’association avec le géant américain du paiement électronique a davantage ouvert les portes des marchés internationaux aux marchands africains qui peuvent désormais recevoir les paiements de leurs produits ou services avec la fonctionnalité « Pay with Paypal » de Flutterwave.

« Nous apportons plus de 300 millions d'utilisateurs PayPal aux entreprises africaines, afin qu'elles puissent accepter des paiements », se félicitait alors le patron de la licorne basée à Lagos et San Francisco.

Un écosystème en quête de diversification

Les insuffisances des services financiers traditionnels expliquent le succès rencontré jusqu’ici par le Mobile Money et les autres fintech actives dans le transfert d’argent sur le continent. La crise sanitaire a aussi favorisé le développement des solutions de paiement à l’échelle du continent. Cependant, la multiplication des offres de Flutterwave depuis quelques mois montre bien que le modèle économique des fintech africaines doit être diversifié. Alors que les quatre start-up valorisées l’année dernière à plus d’un milliard de dollars proposent plus ou moins les mêmes services, à savoir paiements, envoi et transfert d’argent, les jeunes pousses qui veulent devenir les prochaines licornes du secteur devront innover pour se faire une place au soleil. Comme leurs prédécesseurs, elles feront néanmoins face à des contraintes que les Etats doivent les aider à surmonter. Il s’agit notamment de l’amélioration de l’accès à l’électricité ainsi que du taux de pénétration de l’Internet mobile, sans oublier l’éducation des populations à la digitalisation en cours dans tous les secteurs d’activité en Afrique.

Emiliano Tossou

Lire aussi : Grâce à une levée de 250 millions $, Flutterwave possède les ressources pour mener son expansion africaine

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