Comment Faure Gnassingbé veut faire du numérique l’un des piliers de l’économie au Togo

Par : Emiliano Tossou

Date de création : vendredi, 01 avril 2022 18:11

Date de modification : 04 avril 2022 11:47

Le 18 mars 2022, le Togo est devenu le premier pays africain à accueillir Equiano sur ses côtes. Prévu pour être opérationnel d’ici la fin de l’année, il s’agit du premier câble sous-marin de fibre optique de Google dédié au continent. Tout un symbole pour le pays d’Afrique de l’Ouest qui cherche depuis quelques années à devenir un hub technologique majeur et porter la contribution du numérique à 10 % du PIB. De fait, l’arrivée d’Equiano devrait impulser une nouvelle dynamique aux efforts du gouvernement togolais vers l’atteinte de cet objectif.

De grandes ambitions

C’est au Port de Lomé que le président togolais a participé mi-mars à la cérémonie officielle de raccordement de son pays au câble sous-marin Equiano de Google. Pour Faure Gnassingbé, cette infrastructure reliant l’Europe à l’Afrique devrait « transformer durablement le paysage numérique » du Togo. Dans le détail, le gouvernement togolais s’attend aussi bien à une amélioration de la qualité de la connexion Internet que de son coût. Equiano dispose en effet d’une bande passante qui surpasse 20 fois celle de tous les autres câbles sous-marins de la zone et d’après Google, il élargira non seulement le nombre d’utilisateurs d’Internet au Togo, mais permettra également de doubler en trois ans le débit Internet auquel ont accès la plupart des Togolais.

À titre d’exemple, le raccordement en 2012 du West Africa Cable System (WACS), premier câble sous-marin relié au Togo, a permis de passer d’un taux de pénétration d’Internet d’environ 5 % il y a dix ans, à 26 % en janvier 2022, soit 2,23 millions d’utilisateurs d’après les données de Data Reportal. Si cela représente une progression de 420 % en une décennie, c’est au cours des cinq dernières années que la croissance a été la plus forte. Cette progression s’est également suivie d’une amélioration de la qualité de la connectivité, portée par l’internet fixe avec la fibre optique à domicile (FTTH) de Togocom et de GVA (Canalbox).

D’ici 2025, le géant américain table sur une vitesse de 21 Mbps en moyenne, contre 10 Mbps en 2021, en plus d’une réduction de 14 % du prix de l’Internet au détail. Élément essentiel pour n’importe quel pays voulant développer son écosystème numérique, le haut débit en devenant plus abordable au Togo est censé soutenir la vision du gouvernement de devenir un hub digital régional. Lomé cherche ainsi à accélérer les efforts en ce sens et vient d’annoncer son intention de mobiliser 300 millions d’euros pour connecter les foyers togolais à la fibre optique, par le biais des lignes électriques.

« Avec ce nouveau câble sous-marin, nous serons en mesure de satisfaire aux exigences de la Feuille de route gouvernementale portant sur le renforcement du raccordement international au réseau mondial », assure la ministre togolaise de l’Économie numérique Cina Lawson.

Selon une étude commanditée par Google, l’arrivée d’Equiano devrait favoriser la création de 37 000 emplois à l’horizon 2025, grâce aux opportunités offertes par l’économie numérique. Là encore, le gouvernement voit grand et vise, selon la politique sectorielle du secteur du numérique, 400 milliards FCFA (environ 678 millions $) de chiffre d’affaires pour l’économie digitale, contre 187,5 milliards FCFA en 2016. 

Des succès notables depuis quelques années

Lorsque le gouvernement entre en contact avec Google en 2019 alors que le géant de l’Internet venait d’annoncer son projet Equiano, c’était fort de cette ambition numérique : faire du pays, jusque-là connecté à un seul câble, un hub numérique. Objectif en marche, d’autant que le Togo qui ne faisait pas partie du programme initial du géant de l’Internet, l'intègre rapidement et en devient 3 ans plus tard la première station d'atterrissage en Afrique. Ce “succès” est d’abord un coup d’accélérateur à sa stratégie digitale « Togo Digital 2025 » dont l’élaboration en cours est soutenue notamment par la Banque mondiale dans le cadre du WARCIP (West African Regional Communications Infrastructure Project). Projet qui aura permis la construction de nouvelles infrastructures notamment l’IXP (Point d’échange Internet) et le carrier Hotel, premier datacenter du pays.

Sur le plan de la modernisation de l’administration togolaise, la dématérialisation de plusieurs services publics est déjà en cours avec notamment la délivrance en ligne du casier judiciaire ou encore la numérisation des moyens de paiement au niveau des services publics. Le lancement en mai 2021 du Lomé Data Centre, s’inscrit aussi dans cette dynamique, car elle ambitionne de contribuer à garder les données personnelles des Togolais sous le contrôle souverain de l’Etat, “tout en offrant aux jeunes pousses technologiques déjà présentes, ou qui veulent s’installer dans le pays, une infrastructure de pointe à coût abordable”.

« Les Data Centres sont des structures incontournables et des centres de connectivité pour toute région, ou pays, qui souhaite se développer », confirme Attia Byll, la DG de la Société d’infrastructures numériques (SIN), la nouvelle entité publique, cheville ouvrière de l’ambition de Lomé dans le numérique. La société chargée de gérer les infrastructures télécoms publiques est détenue à 100% par l’Etat, et a déjà dans son giron plusieurs infrastructures dont le projet e-gouv qui fibre plus de 300 bâtiments de l’administration publique.

En septembre 2021, le gouvernement a annoncé la création de l’Agence Togo Digital. Son rôle sera principalement d’accompagner les divers services publics dans leur marche vers la digitalisation. Pour veiller à la protection de tout l’écosystème, un accent particulier est mis sur la cybersécurité, avec la création en 2019 de l’Agence nationale de la cybersécurité. La tenue au Togo, les 23 et 24 mars derniers, de la première édition du Sommet de la cybersécurité de Lomé, réunissant plusieurs pays africains, est venue rappeler l’ambition du pays de jouer, là aussi, les premiers rôles.

Si le cadre réglementaire et les ambitions sont donc affichés, Lomé reste toutefois confronté à plusieurs défis. Il s’agit notamment de l’amélioration du taux d’électrification qui, si elle a considérablement augmenté ces dernières années, reste cependant loin des objectifs. Réussir à démocratiser  davantage l’accès à Internet (la fibre optique à domicile coûte plus du tiers du salaire minimum) et étendre la pénétration aux zones rurales est une autre paire de manches.

La maîtresse d’œuvre Cina Lawson

Membre des gouvernements togolais successifs dès 2010, Cina Lawson a vu ses responsabilités croître depuis lors, gérant successivement et de façon cumulée le portefeuille des Postes, celui de l’Économie numérique et enfin celui de la Transformation digitale du Togo. À ce titre, la technocrate passée par la Banque mondiale et les groupes télécom Alcatel-Lucent et Orange s’est illustrée en supervisant avec succès chacune des avancées de son pays vers la quatrième révolution industrielle, à commencer par le projet e-Gouv devenu opérationnel en 2017. Il relie l’ensemble des bâtiments publics de la capitale togolaise ainsi que ceux de Kara par la fibre optique. Financé à hauteur de 15 milliards FCFA, il a favorisé l’opérationnalisation de plusieurs plateformes de services publics comme togo.gouv.tg ou service-public.gouv.tg. 

Depuis 2016, la ministre a aussi porté plusieurs initiatives notamment le projet AgriPME, ou plus récemment Novissi. Le projet AgriPME  a permis de prendre la mesure des avantages offerts par la technologie à l’agriculture, pilier de l’économie pour de nombreux pays africains. La plateforme a en effet offert aux agriculteurs togolais un moyen d’obtenir directement leurs subventions sur leur portefeuille électronique et d’effectuer en parallèle les achats d’engrais et autres intrants agricoles, via le Mobile Money. 

Avec Novissi, le gouvernement a apporté une aide financière aux populations défavorisées dans la période de la Covid-19 en s’appuyant sur le mobile Money et l’Intelligence artificielle. Les algorithmes de Machine learning ont permis de cibler les ménages les plus vulnérables. Le programme a d’ailleurs reçu il y a quelques semaines, une reconnaissance spéciale au dernier salon des innovations South by Southwest (SXSW) à Austin au Texas (USA).

Ainsi, pas à pas, Cina Lawson conduit la politique du gouvernement de Faure Gnassingbé en matière de transformation numérique au Togo.

Emiliano Tossou

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