Dans le rapport bisannuel publié en juillet 2020 par l’Organisation des Nations unies sur le gouvernement en ligne (e-gouvernement) dans le monde, l’Afrique est la région où un plus grand nombre de pays ont enregistré une amélioration de leur niveau de préparation à la gouvernance électronique. Bien que le continent ait encore un long chemin à parcourir pour se hisser au niveau des leaders mondiaux, c’est tout de même le signe d’une prise de conscience progressive par les dirigeants africains du potentiel offert par la dématérialisation des services publics.
Le gouvernement en ligne peut être appréhendé comme la mise à contribution des technologies de l’information et de la communication pour offrir aux administrés, citoyens comme entreprises, des services publics de manière plus efficace. Alors que la numérisation facilite de plus en plus le fonctionnement d’un grand nombre de secteurs économiques, l’Etat ne peut en effet plus rester en marge de cette évolution et a dû s’adapter plus ou moins rapidement à cette réalité. Loin du fantasme de « Big Brother » popularisé par Hollywood et les livres de science-fiction, la technologie utilisée correctement par le pouvoir public permet avant tout de faciliter la vie du citoyen, mais améliore aussi la gestion publique. On peut, entre autres, citer la lutte contre la corruption facilitée par l’absence de contact direct entre l’agent de l’Etat et le citoyen, la rapidité dans le traitement des demandes des administrés grâce à l’automatisation de certaines tâches, ainsi qu’une meilleure collecte des recettes publiques grâce à la transparence offerte par un système informatisé sécurisé.
Etat des lieux de l’e-Gov en Afrique
Comme le montre le dernier rapport du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU, le déploiement de l’e-Gov est bien plus avancé sur tous les autres continents qu’en Afrique. L’Europe est ainsi la première région dans le classement E-Government Development Index (EGDI), avec 33 pays occupant le niveau le plus élevé de l’indice, contre 15 en Asie, 2 en Océanie et aucun en Afrique.
« Les classements en matière d'administration électronique ont tendance à être corrélés au niveau de revenu d'un pays », avance Liu Zhenmin, secrétaire général adjoint des Nations unies chargé des affaires économiques et sociales, pour expliquer ces différences importantes.
Le classement se base non seulement sur l’étendue et la qualité des services en ligne, mais aussi sur l'état de l’infrastructure et les capacités humaines existantes, deux derniers points où les Etats africains ont longtemps péché par le manque d’investissements. Cependant, les avancées enregistrées ces dernières années montrent une réelle volonté d’amélioration de la situation chez la plupart des gouvernements. A titre d’illustration, seuls 5 pays africains ont obtenu la note « élevé » en matière de préparation à la gouvernance électronique dans le classement de l’ONU en 2016. Quatre ans plus tard, ils étaient désormais 14, soit pratiquement le triple. La progression des pays de la région est encore plus visible quand on observe les pays appartenant au niveau le plus bas du classement. 26 pays africains s’y trouvaient en 2016, contre seulement 7 en 2020. Le premier pays du continent, l’île Maurice, est aussi passé de la 66e à la 63e place mondiale, suivi des Seychelles (83e à 76e). Ces améliorations au niveau des Etats africains, loin de se résumer à des cases à cocher dans des enquêtes ou des rapports, ont un impact positif direct sur la vie des citoyens qui mérite qu’on s’y attarde.
La success-story béninoise
Au Bénin par exemple, les avancées enregistrées en matière de dématérialisation des services publics sont beaucoup plus importantes que ce que pourrait laisser penser la progression de seulement deux places au classement de l’EGDI entre 2016 et 2020. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon en 2016, des dizaines de services publics se font désormais en ligne, en ce qui concerne aussi bien le citoyen que les entreprises. Par exemple, avant la dématérialisation du casier judiciaire, l’obtention de ce document indispensable pour plusieurs procédures administratives devait se faire par le citoyen lui-même (ou une personne ayant obtenu de lui une procuration) exclusivement dans sa commune de naissance. Pour un Béninois vivant hors de sa commune d’origine, il fallait préparer un voyage et un court séjour dans ladite commune pour avoir la pièce, à défaut d’avoir un proche à qui donner procuration.
Ce service, ainsi que beaucoup d’autres comme le certificat de nationalité, le permis de construire, la carte d’identité biométrique, se fait déjà en ligne. Témoin du succès de l’initiative, le gouvernement affirme avoir délivré 100 000 casiers judiciaires en ligne de juillet 2020 à août 2021, dont 80 % en moins de 72 heures, pour près de 200 millions FCFA de recettes collectées (350 000 $). La situation n’est pas tellement différente du côté des entreprises où le Bénin est considéré comme « l’endroit le plus rapide au monde pour démarrer une entreprise sur un téléphone mobile », d’après la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Grâce à une plateforme en ligne, la création d’une société ne prend en effet que quelques heures. Si le petit pays ouest-africain n’est ni le premier ni le seul du continent où la création d’entreprises se fait en ligne, cette performance montre néanmoins que « les ressources financières ne sont pas le seul facteur critique pour faire progresser l'administration numérique ». Rappelons que c’est en s’inspirant de l’Estonie, un autre petit Etat (européen) devenu l’un des leaders mondiaux en matière de gouvernement numérique, que le Bénin poursuit la numérisation de son administration.
« La volonté politique, le leadership stratégique et l'engagement d'un pays à faire progresser les services numériques peuvent améliorer son classement comparatif », assure donc M. Zhenmin.
Opportunités et défis
En dehors des avantages déjà cités plus haut, la dématérialisation des services publics représente en elle-même une opportunité d’affaires pour les start-up. Sur un continent où la maîtrise des outils numériques n’est pas encore une réalité pour des millions de citoyens, des entrepreneurs se lancent déjà dans des services de soutien aux démarches administratives en ligne. Contre un prix forfaitaire, ils se proposent de livrer le document demandé par le citoyen en effectuant la procédure à sa place. Un service peu développé pour le moment, mais qui devrait connaître une progression au fur et à mesure de la dématérialisation définitive de certains services publics. La pandémie de Covid-19 a d’ailleurs offert un terreau fertile à ces jeunes pousses puisque les gouvernements ont rendu obligatoire l’utilisation de plateformes en ligne pour certains services publics. Ces plateformes représentent d’ailleurs une autre opportunité pour des start-up locales de se positionner, comme fournisseur d’agrégateurs de paiement ou développeurs de nouvelles solutions numériques toujours plus innovantes. L’écosystème tech des pays africains n’en sortirait que grandi.
Si les écueils habituels liés à la transformation numérique en Afrique sont bien connus, à savoir notamment le manque d’infrastructures (entraînant une faible couverture Internet) et un coût élevé de la data, d’autres contraintes sont à surmonter par les Etats qui se lancent dans la dématérialisation des services publics. Les défis de sécurité inhérents à tout système informatique sont l’une de ces contraintes, surtout en ce qui concerne les données personnelles des citoyens transitant par ces plateformes gouvernementales. Données qui, dans les pays beaucoup plus avancés en la matière, font déjà régulièrement l’objet d’attaques de pirates. De plus, l'usurpation d’identité pourrait être facilitée par la simplicité liée au processus d’obtention de certains documents administratifs. Un cadre réglementaire pour punir ces dérives est donc indispensable, de même que des mesures de prévention adaptées.
Emiliano Tossou