L’entrepreneur social s’engage pour le développement d’une agriculture africaine appuyée sur les nouvelles technologies. « On peut utiliser des robots ou des tracteurs connectés, ou bien des capteurs qui permettent un contrôle à distance » est-il venu expliquer à la cheffe du gouvernement togolais Victoire Tomégah-Dogbé, la semaine passée.
Né à Kaolak, au Sénégal, au sein d’une famille modeste de 28 enfants, Thione Niang se décrit à la fois comme un « stratège politique, entrepreneur social, auteur, leader communautaire, conférencier international et consultant ». Arrivé aux Etats-Unis en 2000 avec seulement 20 $ en poche, il est aujourd’hui à la tête de six organisations internationales dont Akon Lighting Africa, un projet d’électrification de l’Afrique, ou encore JeufZone Farms, qui veut répondre aux besoins alimentaires de l’Afrique. Grâce à son travail acharné, il a réussi à devenir une célébrité internationale et une source d’inspiration pour la jeune génération africaine.
Sa carrière professionnelle aux Etats-Unis, Thione Niang l’a débutée par des petits métiers. Après quelques mois dans le Bronx à New York, où il travaille dans un restaurant, il déménage à Cleveland où il rejoint le monde politique et travaille dès 2005 comme volontaire pour la campagne municipale du conseiller local démocrate Kevin Conwell. Il devient ensuite directeur adjoint de la campagne du candidat à la mairie Frank Jackson. Bien plus tard, il est directeur de campagne de la députée noire Shirley Smith qui veut devenir Sénatrice. C’est elle qui lui présente le sénateur Barack Obama en 2006, à Columbus.
Deux ans plus tard, Thione Niang devient l’organisateur communautaire pour le Président Barack Obama lors des élections présidentielles de 2008. Il est ensuite nommé co-président national de « gen44 », la 44e initiative de collecte de fonds des jeunes américains, pour la campagne de réélection de 2012 du président.
Panafricain dans l’âme, il a décidé de revenir dans son pays natal en 2014 pour y développer des projets à impact à l’instar de JeufZone Farms qu’il a fondé en 2015. Son objectif, répondre aux besoins agricoles de l'Afrique en développant ce secteur par le biais des nouvelles technologies.
“Réponse de Thione Niang à un expert hollandais qui lui demandait son plan de développement pour l’Afrique sur 3 ans” #Afrique pic.twitter.com/Tm1pQSvuRg
— Ndaya Kankolongo (@lisapongeC) January 30, 2022
JeufZone Farms est spécialisé dans la production, la commercialisation, la conservation et la distribution de produits agricoles. Sur une surface de 75 hectares, les jeunes qu’il encadre pratiquent des activités agricoles, contre 50 % de leurs bénéfices. La structure approvisionne ses propres restaurants au Sénégal, et dispose d’un site Internet pour la livraison. Elle fournit également les outils, formations et les expériences nécessaires aux jeunes qui souhaitent se lancer dans ce secteur.
« Ce n’est pas un travail de pauvre dans des villages sans eau ni électricité qu’il faut absolument quitter pour trouver un job de gardien à Dakar. L’agriculture est noble, elle compte parce qu’elle est la base de notre indépendance économique. C’est elle qui nourrit le pays », affirme-t-il.
Son projet mené avec succès, celui dont l’action rayonne désormais dans de nombreux pays africains et au-delà, a déjà formé plus de 200 jeunes. Pour l’année 2022, le quadragénaire envisage de conquérir le marché togolais, où il entend développer l’agriculture et intervenir dans plusieurs autres domaines. Il a échangé à cet effet jeudi 3 février avec le Premier ministre togolais Victoire Tomégah-Dogbé. « La spécificité, c’est que l’on peut utiliser des robots ou des tracteurs connectés, ou bien des capteurs qui permettent un contrôle à distance pour éviter les déplacements sur les grandes exploitations dans le domaine agricole, par exemple. Nous allons voir dans quelles mesures ça peut se faire au Togo », a-t-il expliqué.
Aïsha Moyouzame
Après plusieurs distinctions, la start-up qui envisage d’effectuer une levée de 500 000 $ en ce début d’année 2022 ambitionne de devenir un des leaders de la smart agriculture en Afrique. Plusieurs pays suscitent son intérêt.
Grâce au projet Tolbi, qui signifie « champ » en wolof, Mouhamadou Lamine Kébé, alors étudiant en systèmes réseaux télécoms à l’Ecole supérieure polytechnique (ESP) de Dakar, et trois de ses camarades se sont attaqués, dès 2019, aux problèmes de gestion de l’eau que vivent les agriculteurs sénégalais. Ils ont développé un kit d’objets connectés basé sur l’intelligence artificielle et sur l’edge computing pour faciliter l’irrigation des champs et améliorer le rendement agricole.
« Nous utilisons des drones, des images satellitaires et des objets connectés avec des capteurs d’humidité pour permettre à l’utilisateur de disposer en temps réel des informations relatives aux besoins en eau et en engrais de leurs champs afin d’optimiser leur irrigation et d’améliorer leur rendement. Cela permet de réduire en amont les apports en eau et carburant, diminuant ainsi les coûts de production », explique Mouhamadou Lamine Kébé, fondateur de la start-up Tolbi.
Grâce aux capteurs, les données sont récupérées en temps réel dans une région donnée. Elles sont transmises aux ingénieurs qui les soumettent aux algorithmes d’intelligence artificielle afin d’en ressortir des informations clés pour la prise de décision. Les données analysées sont ensuite mises à la disposition des utilisateurs via des applications dédiées pour leur permettre de prendre une décision. Mouhamadou Lamine Kébé indique que le système, conçu pour répondre aux besoins de tous les agriculteurs, même ceux aux revenus modestes ou analphabètes, est accessible via un simple téléphone muni d’une carte SIM. Il suffit à l’agriculteur de composer le numéro du dispositif et d’interagir avec un système de commande vocal en wolof ou pulaar, deux langues parlées au Sénégal.
Un an après son développement, le projet est passé du stade du prototype à la mise sur le marché. « Nous réussissons à optimiser jusqu’à 30 % le rendement agricole tout en réduisant les pertes en eau jusqu’à 60 % », se réjouit le fondateur de Tolbi. Aujourd’hui, la solution s’est développée et propose déjà de nombreux autres services tels que le comptage des plants, le modelage du terrain, l’estimation de rendement, l’analyse de la santé des plantes, l’analyse des mauvaises herbes.
Avec un fort impact socioéconomique touchant l’agriculture, secteur économique qui a représenté 9,4 % du produit intérieur brut (PIB) du Sénégal en 2018 selon le rapport 2020 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), Tolbi a remporté plusieurs distinctions parmi lesquelles le Grand Prix du président de la République pour l’innovation numérique en 2020. La start-up, qui envisage d’effectuer une levée de fonds de 500 000 $ en début d’année 2022, ambitionne de devenir un des leaders de la smart agriculture en Afrique. Tolbi souhaite exporter ses compétences dans d’autres pays du continent, en particulier le Nigeria, le Kenya, l’Algérie ou le Maroc.
Ruben Tchounyabe
Initialement développée pour le marché tunisien en 2019, la solution a déjà réussi à s’exporter dans plusieurs pays à travers le continent. Conçue par trois jeunes tunisiens, elle continue de séduire de nombreux fermiers.
Grâce à Internet et au mobile, L’agritech Lifeye s’est lancée dans l’ambitieux projet de soutenir les fermiers d’Afrique dans le développement de leur cheptel bovin et l’amélioration de leur production laitière. Elle a créé à cet effet l’application MooMe pour résoudre les problèmes récurrents des élevages bovins en Tunisie, comme la mauvaise fertilité et la difficulté à détecter les maladies précoces.
MooMe, téléchargeable sur Playstore et Huawei AppGallery, offre à ses utilisateurs plusieurs services qui vont du suivi du vêlage et des chaleurs des vaches, à la surveillance des bêtes qui posent problème dans le troupeau. « Le plus important pour un éleveur est de savoir quand faire l’insémination artificielle. Ces données nous permettent de l’alerter à l’avance », a expliqué Ahmed Achballah, diplômé en sciences appliquées et co-fondateur de MooMe.
Pour Mohamed Kallel, l’autre co-fondateur de MooMe, « la grande précision qu’offre cette plateforme, dans l’identification du temps adéquat pour l’insémination des vaches qui ne dépasse généralement pas les 30 heures, évite à l’agriculteur le risque de manquer la possibilité d’inséminer ses vaches ». L’utilisateur de l’application a également la possibilité d’avoir en temps réel une vision globale sur le troupeau et de recevoir des alertes en cas d'activités anormales des vaches.
L’application est reliée à un collier connecté pour vache, muni d’un petit capteur qui analyse le niveau de rumination et les mouvements, notamment pour identifier des maladies comme la mammite ou la boiterie, mais aussi pour évaluer la période de fertilité de l’animal. Des boîtiers MooMe installés dans les étables collectent les données sur les animaux, les traduisent en algorithmes et tableurs qui sont renvoyées à Tunis au siège de la Start-up où se trouve la plateforme à laquelle les fermiers ont accès.
Développés en 2019, l’application gratuite et son collier connecté vendu à 200 dinars (62 euros) avec des formules par abonnement mensuel ont été testés dans les fermes du nord-ouest du pays. Aujourd’hui, Lifeye revendique 2500 vaches enregistrées dans sa base de données et plus de 1500 utilisateurs. Hormis la Tunisie, MooMe est déjà utilisé dans plusieurs pays que sont le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, le Nigeria, le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya ou encore le Zimbabwe et le Sénégal. Avec le financement obtenu l’année dernière du fonds d’amorçage Maxula Seed Fund de Maxula Gestion, la Start-up Lifeye travaille sur des améliorations de l’application.
Muriel Edjo
Ces deux jeunes Ivoiriens développent des systèmes d’irrigation automatique via smartphone avec des capteurs intégrés qui aident également les agriculteurs dans le choix des engrais.
Selon un rapport publié, il y a quelques semaines par le géant britannique de la téléphonie par satellite Inmarsat, l’adoption des technologies liées à l’Internet des Objets s’est accélérée dans le monde entier, à cause de la pandémie de Covid-19. Mais en Afrique, le monde agricole n’a pas attendu une catastrophe sanitaire planétaire pour entamer l’adoption de ce nouveau concept ainsi que des technologies qui y sont liées. Décryptage.
Contrairement à l’intelligence artificielle ou au machine learning, il est difficile d’avoir une définition exhaustive, mais simple de l’internet des objets (IoT- internet of things, en anglais), car il ne s’agit tout simplement pas d’une technologie. Il faut plutôt le comprendre comme un concept qui vise à tirer profit des données émises par la multitude d’objets connectés, utilisés dans tous les secteurs d’activité. Grâce à internet et au fonctionnement en réseau, ces objets connectés, dotés de capteurs, peuvent transmettre continuellement des informations les unes aux autres et permettre aux utilisateurs d’améliorer les processus de production ou le quotidien des particuliers.
L’Afrique mise sur la technologie pour améliorer le rendement des entreprises agricoles.
Il faut aussi souligner que l’IoT intègre les autres technologies suscitées, à savoir l’IA, l’apprentissage automatique ou encore la blockchain. Pour le moment, les usages de l’IoT connus du grand public se limitent parfois à des montres connectées, des voitures connectées ou encore la maison connectée. Mais les applications de l’IoT pour les entreprises sont celles qui offrent encore le plus de potentiel de croissance, en raison des besoins auxquels elles peuvent répondre.
L’agriculture en Afrique à l’ère de l’IoT
D’après l’ONU, le monde doit multiplier par deux sa production alimentaire d’ici 2050, pour répondre à la forte croissance attendue de la population. Alors que les surfaces cultivables ont davantage tendance à rétrécir et que le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau, le leitmotiv de l’industrie agricole est désormais l’efficience. Les différentes innovations technologiques offrent une solution à cette quête d’efficacité et les agriculteurs africains, continent le plus visé par ce boom démographique, s’en emparent déjà.
Alors que les surfaces cultivables ont davantage tendance à rétrécir et que le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau, le leitmotiv de l’industrie agricole est désormais l’efficience.
Dans plusieurs pays africains, l’agriculture représente l’un des principaux contributeurs à la création de richesse et la part du secteur dans le PIB de l’Afrique est estimée à 30%. Elle emploie aussi 60% de la population active, tout en produisant 80% des besoins alimentaires du continent. Après avoir migré progressivement, des méthodes d’exploitation peu industrialisées à la mécanisation et à l’usage intensif d’intrants agricoles et de pesticides, les agriculteurs du continent peuvent désormais profiter des nouvelles technologies adaptées à leur activité. Entre usage de produits chimiques et effets du changement climatique, l’agriculture traditionnelle fait en effet face à de multiples défis qui ont pour conséquences de réduire les récoltes et d’accroître la sous-alimentation. Selon des estimations concordantes en effet, la population africaine, déjà marquée en partie par des problèmes de sécheresse et de faim, devrait croître de 91% d’ici 2050, passant de 1,3 milliard en 2020 à 2,6 milliards.
IBM et l’agritech Hello Tractor développent des solutions au Kenya et au Nigeria.
Pour relever ces défis, plusieurs start-up tentent d’apporter des solutions en misant sur la technologie pour améliorer le rendement des entreprises agricoles. Dans ce contexte, l’internet des objets joue un rôle de premier plan, comme l’a démontré un accord conclu, il y a deux ans, entre IBM et l’agritech Hello Tractor, présente au Nigeria et au Kenya. Fin décembre 2018, le géant américain s’est en effet associé, à travers sa filiale IBM Research, à la jeune pousse ouest-africaine pour développer une plateforme basée notamment sur l’IA et la blockchain, au profit des agriculteurs africains. La méthode est plutôt simple. Il s’agit d’installer des objets connectés dotés de capteurs dans les champs tout au long de l’année, afin qu’ils puissent récolter et transmettre des données sur la pluviométrie, les prédateurs des plantes, l’usage des intrants, etc.
La méthode est plutôt simple. Il s’agit d’installer des objets connectés dotés de capteurs dans les champs tout au long de l’année, afin qu’ils puissent récolter et transmettre des données sur la pluviométrie, les prédateurs des plantes, l’usage des intrants, etc.
Ces informations, associées à celles obtenues grâce à la météo et analysées grâce à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique, fournissent ensuite aux agriculteurs de précieuses indications. Ces dernières peuvent concerner le moment idéal pour planter, protéger les cultures grâce aux pesticides, irriguer, afin d’obtenir les meilleurs rendements possibles.
Unitrans Africa vulgarise l’usage du drone au Malawi et au Mozambique.
L’usage des objets connectés ne s’arrête pas là, comme le montre Unitrans Africa. Spécialisée dans la fourniture de diverses solutions aux agriculteurs africains, elle a acquis cette année une flotte de drones au profit de ses clients du Malawi et du Mozambique, dans un premier temps. Les engins peuvent non seulement assurer la pulvérisation aérienne à un coût inférieur à celui des avions, mais en plus, grâce aux capteurs dont ils sont dotés, ils peuvent fournir à l’agriculteur des informations sur les cultures qui ont plus ou moins besoin d’intrants agricoles, tout en identifiant rapidement, sur des champs de plusieurs milliers d’hectares, des zones subissant divers stress.
L’autre aspect qui peut passer inaperçu, mais qui est tout aussi précieux dans une agriculture numérisée, c’est la disponibilité de données fiables sur les récoltes, ce qui peut encourager les établissements de crédit à accorder plus facilement du financement aux entrepreneurs agricoles.
Par ailleurs, des capteurs peuvent aussi être installés sur les machines agricoles et prévenir ainsi les propriétaires de potentielles réparations ou travaux de maintenance à faire. Cela limite les imprévus et participe aussi à l’amélioration du rendement des cultures. Enfin, l’autre aspect qui peut passer inaperçu, mais qui est tout aussi précieux dans une agriculture numérisée, c’est la disponibilité de données fiables sur les récoltes, ce qui peut encourager les établissements de crédit à accorder plus facilement du financement aux entrepreneurs agricoles.
Des contraintes
Faut-il le rappeler, les agritech ne sont pas l’apanage de l’Afrique. Dans son rapport intitulé « Industrial IoT in the time of Covid-19 », élaboré avec l’appui du cabinet Vanson Bourne, Inmarsat rappelle que « les investissements dans les technologies destinées à soutenir la production alimentaire ont été multipliés par six depuis 2012, pour atteindre 20 milliards de dollars en 2019 ». Sur ce total, il faut souligner que les technologies centrées sur l’amélioration génétique des cultures ou l’agriculture de précision occupent une belle place. Par ailleurs, à travers le monde, les entreprises qui sont plus enclines à effectuer les investissements nécessaires sont celles de grande taille (250 à 3000 employés et plus). En Afrique où les petites et moyennes entreprises dominent encore le secteur, se pose donc le problème du financement pour mener cette nouvelle révolution technologique.
En Afrique où les petites et moyennes entreprises dominent encore le secteur, se pose donc le problème du financement pour mener cette nouvelle révolution technologique.
A cela, il faut ajouter un problème tout aussi important qui concerne la fracture numérique. L’agriculture se pratique en zone rurale et il s’agit encore malheureusement des régions les plus délaissées par les opérateurs, en ce qui concerne l’accès à internet. Le taux de pénétration de l’internet mobile s’élève ainsi à 28% en Afrique subsaharienne, selon les chiffres de 2020 de l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA). Le coût de l’internet constitue aussi un obstacle, sans oublier la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée pour exploiter les données, ainsi que les besoins de formation des agriculteurs à l’utilisation de cette technologie. Il ne s’agit heureusement pas de difficultés insurmontables et une forte volonté politique peut permettre de démocratiser l’usage de l’Internet des Objets dans l’agriculture africaine.
Emiliano Tossou