L’année 2021 a vu plusieurs groupes internationaux nouer des partenariats ou lancer de nouvelles offres pour investir dans le domaine du cloud en Afrique. Il s’agit de conquérir un marché quasiment vierge, qui dispose d’à peine plus de 1 % des datacenters (essentiels aux services cloud) installés dans le monde. A un moment où la transformation numérique du continent s’est accélérée avec la pandémie de Covid-19, l’intérêt pour les services cloud ne devrait pas s’essouffler de sitôt. Ce qui laisse présager des changements positifs dans un secteur riche en opportunités. Décryptage.
Le cloud, quoi et pourquoi ?
Elément essentiel, parmi tant d’autres, de la quatrième révolution industrielle, le cloud computing regroupe un ensemble de services numériques à la demande. Il offre à ses utilisateurs des ressources informatiques allant simplement du stockage de données en ligne à la puissance de calcul ou des logiciels, sans oublier des serveurs et des applications. Ces divers services peuvent être mis à disposition dans leur ensemble ou seulement en partie par le fournisseur du cloud, selon l’offre sollicitée par le client. Trois types d’offres sont ainsi généralement proposées par les sociétés actives dans le cloud, à savoir l’infrastructure en tant que service (Iaas), la plate-forme en tant que service (Paas) et l’application en tant que service (Saas).
Comme son nom l’indique si bien, la première offre, l’Iaas, fournit aux utilisateurs les infrastructures que sont les serveurs virtuels, de la capacité de stockage et le réseau. Les clients n’ont plus besoin d’acheter du matériel informatique plus ou moins avancé pour faire fonctionner leurs logiciels ou stocker leurs données. Ils doivent néanmoins continuer à s’occuper de l’installation, de la configuration et de la mise à jour des systèmes d’exploitation, logiciels et autres applications devant fonctionner sur les infrastructures mises à disposition. Une partie de ces contraintes est levée dans le cadre de l’offre Paas qui assure, en plus de l’infrastructure, l’accès à des outils de gestion de base de données ou simplifiant le développement d’applications et de sites web.
« Le PaaS est conçu pour prendre en charge l’intégralité du cycle de vie de l’application web : conception, test, déploiement, gestion et mise à jour. Il permet d’éviter les dépenses et problèmes liés à l’achat et à la gestion de licences logicielles, de l’infrastructure sous-jacente aux applications et des intergiciels », indique Microsoft, l’un des leaders mondiaux de services cloud.
En plus de toutes ces commodités, le dernier type de services, le Saas, fournit aux clients des applications « clé en main », c’est-à-dire prêtes à l’emploi. Les exemples les plus connus d’utilisation de Saas sont les outils de bureautique en ligne comme la suite Microsoft Office ou Google Docs et Google Sheets. Alors que le Saas est davantage destiné aux utilisateurs finaux des services informatiques, ce qui en fait le segment le plus important du marché actuellement, notons que l’Iaas sert surtout les exploitants informatiques, alors que le Paas est orienté vers les développeurs.
Il faut souligner que les services cloud sont hébergés selon trois modèles. Le cloud public est caractérisé par l’hébergement des ressources informatiques chez un hébergeur tiers qui les met à la disposition de tous ceux qui peuvent les payer. En obligeant l’utilisateur à héberger lui-même l’infrastructure et les ressources qu’il utilise, le cloud privé semble plus adapté aux entreprises qui doivent obéir à des impératifs de sécurité et de confidentialité élevés. Une troisième solution est néanmoins possible, le cloud hybride, qui permet d’externaliser une partie de l’hébergement des ressources tout en gardant la main sur le contenu sensible.
Le marché du cloud en Afrique
Selon les chiffres du rapport « Global Cloud Computing Market (2021 to 2028) », le marché mondial du cloud a pesé 445 milliards $ l’année dernière. Un chiffre qui devrait tripler d’ici 2028 pour atteindre 1 200 milliards $ . Si l’Afrique représente actuellement une part marginale de ce marché, la possibilité d'accroître sensiblement cette contribution existe, compte tenu des acteurs présents sur le marché, de leurs investissements et d’une concurrence qui s’annonce encore plus féroce dans les années à venir. Il faut souligner que la présence du continent sur le marché mondial du cloud est essentiellement portée par l’Afrique du Sud. Pays africain le plus industrialisé, la nation arc-en-ciel accueille quelques-uns des plus grands acteurs mondiaux du secteur.
Microsoft, à travers son offre Azure, a installé ses centres de données au Cap et à Johannesburg en 2019, devenant ainsi le premier fournisseur de niveau mondial à proposer des services cloud à partir de centres de données situées en Afrique. Amazon Web Services lui a emboîté le pas un an plus tard, avec le lancement de trois centres de données dans différentes zones du Cap en 2020. Le prochain grand acteur à investir l’Afrique est Oracle qui a révélé en début d’année son intention de faire de Johannesburg sa première région cloud sur le continent. Notons aussi la présence du fournisseur sud-africain de centres de données neutres Teraco Data Environments à Durban, au Cap et à Johannesburg. Alors que, selon les données de Xalam Analytics datant de 2020, l’Afrique du Sud représente déjà 70 % de l’offre de centres de données sur le continent, cette domination devrait perdurer, vu le nombre croissant d’entreprises qui choisissent le pays pour établir leurs installations. Cependant, une diversification est progressivement à l’œuvre, portée aussi bien par des entreprises locales qu’internationales.
L’Africa Data Centers du milliardaire zimbabwéen Strive Masiyiwa héberge ainsi deux de ses cinq centres de données hors d’Afrique du Sud, en l’occurrence à Nairobi au Kenya et à Lagos au Nigeria. Le Nigeria est d’ailleurs l’autre grande région du continent hébergeant des centres de données, avec notamment la présence de Rack Center. Les sociétés d’investissement Actis et Convergence Partners y ont pris une participation majoritaire en 2020, apportant le capital nécessaire à l’agrandissement des installations de Rack Center. Il s’agit notamment de doubler la capacité de l’alimentation électrique à 1,5 MW, déjà achevé, et un second projet cette année pour ajouter 13 MW. Aussi, avant d’annoncer en janvier son arrivée en Afrique du Sud, le groupe texan Oracle a conclu un accord de partenariat, en octobre 2021, avec Orange pour la construction de plusieurs régions Oracle Cloud en Afrique de l’Ouest, à partir des infrastructures du groupe français au Sénégal et en Côte d’Ivoire. La nation éburnéenne devrait aussi voir l’installation prochaine de Raxio Group, filiale de la société américaine d’investissement Roha Group. La société veut aussi installer des datacenters en Ethiopie, en RDC, au Mozambique et en Ouganda, dans le cadre d’une stratégie visant à établir un réseau de datacenters connectées à travers le continent d’ici 2023.
Renforcer les infrastructures pour tirer profit du cloud
Plusieurs Etats commencent aussi à investir dans le domaine, dans le but d’assurer leur souveraineté numérique. L’année dernière, le Togo et le Sénégal ont ainsi inauguré leurs premiers datacenter souverains.
« Ce Datacenter est le lieu d’impulsion de la transformation digitale du Sénégal […] il favorise le fonctionnement du guichet unique Sénégal Services présent dans tous les départements et où les citoyens peuvent disposer de l’ensemble des services de l’administration », indique Cheikh Bakhoum, DG de l’Agence de l’Informatique de l’Etat, à propos des avantages offerts aux Etats par les datacenters souverains.
L’installation de datacenters locaux représente aussi une opportunité de réduction du chômage des jeunes diplômés. 700 emplois directs devraient être ainsi créés par l’installation du datacenter sénégalais et jusqu’à 15 000 emplois indirects. Selon un rapport de 2018 publié par l’International Data Corporation, l’adoption des services cloud a la capacité de générer environ 112 000 emplois en Afrique du Sud d’ici la fin de l’année 2022. Il ne faut pas oublier les avantages inhérents aux datacenters, à savoir une sécurité plus maîtrisée des données, un gain financier pour les entreprises qui n’ont plus à investir de gros moyens dans l’acquisition des infrastructures informatiques, surtout les petites et moyennes entreprises, pour obtenir des performances élevées. La multiplication des datacenters sur le continent devrait même réduire le coût d’accès aux services cloud et renforcer leur fiabilité.
Cependant, plusieurs obstacles empêchent encore les acteurs africains de profiter pleinement des avantages offerts par les services cloud. Il s’agit surtout de la fiabilité de la connexion Internet. L’insuffisance des infrastructures et donc du nombre de datacenters disponibles entraîne aussi un coût élevé pour les services cloud, ce qui limite son accès aux petites entreprises. Si les acteurs privés élargissent déjà leur empreinte au continent, davantage d’efforts peuvent être fournis par les Etats, notamment dans la construction de datacenters souverains qui peuvent, par exemple, soutenir les ambitions de dématérialisation des services publics.
Emiliano Tossou
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