En Afrique, la digitalisation entraîne des changements importants dans le fonctionnement traditionnel de plusieurs secteurs stratégiques. Du commerce à l'agriculture en passant par l’éducation, c'est une multitude d'opportunités qui s'offre aux différents acteurs grâce aux innovations technologiques. We Are Tech vous dévoile le potentiel de ces transformations à travers plusieurs secteurs clés. Dans ce troisième épisode de la série, découvrez comment les jeunes pousses technologiques du continent utilisent l’internet des objets, le big data et d’autres outils numériques pour simplifier et réduire le coût de la logistique et du transport.
Potentiel énorme mais peu développé
Le 1er janvier 2021, la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est entrée en vigueur, marquant la création d’un marché commun de 1,4 milliard de consommateurs et cumulant un PIB de 2,6 billions $. Pour faire de cette grande avancée vers l’intégration économique chère à l’Union Africaine, un succès, l’un des défis réside dans la mise en liaison des fournisseurs avec les consommateurs. Si la suppression des barrières douanières doit aider à atteindre ce but, la contribution des plateformes de logistique et de transport est tout aussi vitale. Cependant, connecter efficacement quelques millions, voire dizaines de millions d’acteurs ne demande pas les mêmes moyens qu’en connecter des centaines de millions, de Durban au Caire. Cet agrandissement du marché ou de l’espace couvert habituellement par les plateformes de transport, nécessite un recours accru à la technologie pour favoriser l’automatisation de certaines tâches et permettre un suivi en temps réel de la chaîne d’approvisionnement.
Les start-up d’e-logistique disposent d’applications mobile pour géolocaliser les clients.
Ce domaine, connu sous la dénomination e-logistique, est certes à ses balbutiements sur le continent, mais son potentiel économique ne laisse pas de place au doute, quant à la croissance des investissements qu’il enregistre. Si le mastodonte que constitue la fintech est loin devant, avec 63% de la totalité des investissements obtenus par les start-ups africaines en 2021 selon Partech, la place de dauphin en revanche est âprement disputée par les autres secteurs. D’après la même source, c’est l’e-logistique qui est sorti vainqueur de cette bataille en 2021, passant de la septième place en 2020 à la deuxième un an plus tard. Les start-up actives dans le domaine ont ainsi levé 388 millions $ en 2021, environ cinq fois le montant total levé en 2020 (79 millions $), soit une progression de 391% en glissement annuel.
Les start-up actives dans le domaine ont ainsi levé 388 millions $ en 2021, environ cinq fois le montant total levé en 2020 (79 millions $), soit une progression de 391% en glissement annuel.
Notons tout de même qu’il s’agit d’une tendance commune aux start-up africaines, avec une progression de 264% en glissement annuel du montant total des financements levés en 2021 par les start-up du continent (5,2 milliards $).
Pandémie et e-commerce comme moteurs
La pandémie a joué un rôle important dans l’augmentation des financements obtenus en 2021 par les start-up. La réduction des interactions sociales au profit des interactions numériques, rendue nécessaire par la crise sanitaire, a en effet montré tout l’intérêt des solutions de digitalisation développées par ces jeunes pousses, encourageant les investisseurs à s’y intéresser davantage. Le confinement imposé par certains États africains pour lutter contre la propagation du virus a empêché par exemple les commerçants sur les marchés habituels de se réapprovisionner et le recours à la technologie s’est avéré décisif pour connecter les fournisseurs et les détaillants.
Kobo360, le « Uber pour camions » est déjà présent dans 6 pays africains.
« TradeDepot [une plateforme de e-logistique nigériane, ndlr] m'a permis d'approvisionner mon magasin beaucoup plus facilement sans quitter mon emplacement […] Je n'avais pas besoin d'aller au marché et leurs prix sont bons », confie Blessing Chibueze, une propriétaire d’un petit magasin de quartier à Lagos, dans un compte-rendu de la Société Financière Internationale.
«TradeDepot [une plateforme de e-logistique nigériane, ndlr] m'a permis d'approvisionner mon magasin beaucoup plus facilement sans quitter mon emplacement […] Je n'avais pas besoin d'aller au marché et leurs prix sont bons».
Avec la mise en place de la Zlecaf, les start-up d’e-logistique tiennent un moyen supplémentaire de se démarquer auprès des véhicules d’investissements et autres business angels. Il convient toutefois de rappeler qu’elles n’ont pas attendu cette conjugaison de vents favorables pour hisser les voiles et lever l’ancre. Le développement des start-ups de logistique a été favorisé au préalable par celui de l’e-commerce, les deux ayant besoin l’un de l’autre pour atteindre leurs objectifs. Face au problème d’adressage des appartements et bureaux dans de nombreuses villes africaines, les start-up d’e-logistique disposent par exemple d’applications mobiles permettant, en plus de la géolocalisation des clients, un contact permanent entre ces derniers et les livreurs, évitant ainsi les erreurs dans les adresses et réduisant le temps nécessaire pour acheminer les produits.
Des pionniers et une diversité d’offres
À l’heure actuelle, il n’existe pas encore de sociétés de logistique basées sur l’utilisation de la technologie à l’échelle continentale. Les pionniers qui se sont lancés dans l’aventure élargissent néanmoins peu à peu leur empreinte au-delà de leur pays d’origine comme le nigérian Kobo 360. Lancé en 2018 et désormais présent dans cinq autres pays africains (Ghana, Ouganda, Kenya, Côte d'Ivoire, Burkina Faso), le « Uber pour camions » s’est spécialisé dans la mise en relation des propriétaires de gros porteurs avec des entreprises souhaitant déplacer des produits. La plateforme permet de réduire le coût du transport en assignant chaque course au chauffeur le plus proche grâce à son logiciel basé sur l’intelligence artificielle Global Logistics Operating System.
Le client peut aussi suivre en temps réel la livraison de son article et peut payer les chauffeurs grâce à des moyens de paiement dématérialisés. Sur des routes pas toujours sûres, Kobo360 améliore ainsi la sécurité des chauffeurs qui n’ont plus à se déplacer avec de fortes sommes. D’autres start-up proposent un service similaire, comme les kényans Sendy et Lori Systems.
La plateforme permet de réduire le coût du transport en assignant chaque course au chauffeur le plus proche grâce à son logiciel basé sur l’intelligence artificielle Global Logistics Operating System.
En revanche, c’est une offre un peu différente que propose le sénégalais Paps depuis 2016. Fondée par Bamba Lo, la start-up basée à Dakar propose des livraisons au dernier kilomètre pour une large gamme de produits et services, mais aussi du stockage et du transport pour les petites et moyennes entreprises.
Paps, la start-up basée à Dakar, propose des livraisons au dernier kilomètre.
Présente aussi au Burkina Faso, elle revendique plus de 10 millions de livraisons sur ces deux marchés en bientôt six ans d’existence. Pour poursuivre sur sa lancée, elle a obtenu en janvier un financement de 4,5 millions $ auprès de divers investisseurs conduits par Orange et la société de capital-risque 4DX Ventures. Les fonds lui permettront notamment d’optimiser son infrastructure technologique basée actuellement sur trois éléments, à savoir une plateforme pour les clients (MyPaps) permettant aux clients de faire leurs demandes et d’en suivre l’évolution, une plateforme pour l’équipe (Paps Ops), assurant la gestion des commandes, et enfin l’application des livreurs Paps App. Une interface de programmation d'application (API) est également disponible pour permettre aux sites marchands des clients spécialisés dans le e-commerce d’automatiser les livraisons.
Améliorer les infrastructures routières pour favoriser l’intégration
Les start-up d’e-logistique en Afrique proposent une variété de solutions mais elles se limitent pour le moment aux grandes villes ou à des chaines d’approvisionnement au niveau national. Le manque de volonté ou d’ambition ne peut servir d’explication à cette absence sur le segment des approvisionnements transfrontaliers et il faut plutôt interroger la disponibilité et surtout l’état des infrastructures routières reliant les pays africains. Cela entraine des tarifs de fret routier deux à quatre fois plus élevés par kilomètre que ceux pratiqués aux Etats-Unis par exemple, note un rapport de la BAD.
« Le réseau routier de l'Afrique est inadéquat […] L'Afrique doit moderniser certaines sections de ses routes pour faire face à l'augmentation du fret généré par la Zlecaf », indique de son côté Robert Lisinge, chef de la Section des infrastructures de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique.
Alors que la Zlecaf est opérationnelle depuis quelques mois, la modernisation et le développement des infrastructures de transport, surtout dans l’interconnexion des Etats africains, est nécessaire pour l’émergence du secteur de la e-logistique. Elle permettra aussi aux acteurs traditionnels du secteur de la logistique d’exploiter pleinement le potentiel de ce marché commun.
Emiliano Tossou
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