Présent dans le pays depuis plus d’un an déjà, la fintech qui a été accueillie en fanfare par les consommateurs, accumule cependant au fil des mois le mécontentement de ses partenaires. Ils craignent à long terme que son action ait un impact dévastateur sur l’inclusion financière et l’emploi.
Les propriétaires de points Mobile Money de Côte d’Ivoire devront encore patienter pour obtenir une réponse claire et satisfaisante quant à l’amélioration de leur rémunération qui s’est détériorée progressivement depuis avril 2021, date d’entrée officielle de Wave sur le marché avec des tarifs cassés.
La réunion de concertation organisée le 24 juin entre les opérateurs télécoms et la fintech américaine, sur instruction du ministre de l’Emploi et de la Protection sociale, pour déterminer une grille tarifaire qui profiterait aux consommateurs, aux prestataires de service et aux sociétés émettrices de monnaie électroniques, n’a finalement abouti à aucune résolution efficace selon le Syndicat national des propriétaires des points de vente mobile money (Synamci).
Le dossier devrait être transmis pour étude au Premier ministre à travers les procès-verbaux des différentes rencontres initiées par le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, dans l’espoir qu’une solution définitive à la situation soit trouvée. Dans l’attente, les exploitants de points de vente Mobile Money continueront à vaquer à leur occupation avec la crainte de voir leur activité perdre en valeur.
Un modèle économique fâcheux
Depuis le 1er juin, le marché du Mobile Money a enregistré de nombreux soubresauts provoqués par la décision de Wave d’introduire une nouvelle grille de rémunération qui réduisait le montant des commissions versées aux exploitants de points de vente Mobile Money. « Quelqu’un qui percevait 2400 Fcfa pour un palier de transaction atteignable facilement par les prestataires se retrouvait déjà avec 1350 Fcfa de commission dans la nouvelle grille de rémunération. Alors que vous pouviez vous retrouver avec 4600 Fcfa, vous ne perceviez plus que 2675 Fcfa », explique Félix Coulibaly. Il poursuit en indiquant « que lorsque Wave a réduit les commissions que nous percevions, elle a instauré un nouveau système qu’elle nomme « partage de revenu ». Mais pour nous ce n’était pas transparent au-delà du fait que nous n’avions aucun regard dessus. Ce n’était pas du tout transparent. Nous l’avons rejeté ».
C’est l’entêtement de Wave à appliquer ce nouveau modèle, finalement annulé lors de la réunion du 17 juin entre les différents syndicats du segment du paiement mobile, les sociétés télécoms, Wave et le ministère de l’Emploi et de la Protection sociale, qui a tout d’abord donné lieu à une grève de certains exploitants de point de vente Mobile Money du 2 au 4 juin.
« Avec les trois opérateurs de téléphonie mobile, nous étions rémunérés par transaction. »
Après, leur colère a évolué vers l’imposition unilatérale de frais de service de 100 Fcfa sur les dépôts et retraits (annulé aussi lors de la réunion du 17 juin). « C’était pour permettre aux prestataires de joindre les deux bouts. De faire face à leurs charges en attendant que le ministre de l’Emploi et de la Protection sociale qui avait le dossier en main puisse contribuer à trouver une solution à notre problème », affirme le SG du Synamci qui doute finalement de la viabilité du modèle à 1% tant vanté par Wave et dénonce son impact sur le marché.
« Avec les trois opérateurs de téléphonie mobile, nous étions rémunérés par transaction. C’est-à-dire qu’à chaque opération de dépôt ou de retrait d’argent, vous aviez une commission spécifique liée à la transaction effectuée. Depuis le 1er avril, Orange a décidé d’emboiter le pas à Wave en nous rémunérant par cumul des transactions journalières. Ce que nous reprochons aujourd’hui à Wave c’est que, par son système qui a modifié l’état du marché, nos commissions ont été réduites. C’est l’avènement de Wave qui a suscité tout ce remue-ménage. Ils ont toujours maintenu que leur système a été pensé et éprouvé et ils croient en lui et donc le repenser serait tuer toute l’activité à leur niveau. Leur entrée sur le marché n’est pas totalement négative puisqu’elle a permis à la population de la sous-région de comprendre qu’il était possible de prélever seulement 1% de frais de service sur une transaction. C’était un mythe pour nous et pour les consommateurs. C’est maintenant à eux de prouver à l’Etat de Côte d’Ivoire que leur système est viable », soutient Félix Coulibaly.
Menace sur l’inclusion financière
« Le marché du Mobile Money en Côte d’Ivoire était relativement calme avant l’arrivée de Wave. Les frais de services tournaient autour d’une moyenne de 2 à 3%. D’un opérateur à un autre, il y avait une grille de répartition avec les acteurs de la distribution selon une organisation bien précise. Jusqu’à l’avènement de Wave tout se passait très bien. Mais lorsqu’elle est arrivée avec son modèle économique complètement différent de celui des opérateurs mobiles tout a été chamboulé », déclare Sidibé Aboubacar, le président de l'Association des marchands indépendants mobile money de Côte d’Ivoire (Amimomoci).
Il explique qu’en octobre 2020, lorsque Wave a fait ses premiers pas en Côte d’Ivoire et suscité l’engouement des consommateurs avec des frais de 1% alors que les autres tournaient autour de 1%, 1,8%, ça a profité à la population, mais ça a détruit l’activité des prestataires. Sidibé Aboubacar révèle qu’au départ, les opérateurs télécoms ont essayé de maintenir les commissions que percevaient les agents Mobile Money pendant quatre à cinq mois. Mais après, ne pouvant plus continuer à subventionner ces commissions vu qu’ils tournaient à perte, des mesures ont été prises. MTN et Moov n’ont pas changé de modèle économique comme Orange mais ont été contraints de revoir à la baisse leurs commissions.
Sidibé Aboubacar révèle qu’au départ, les opérateurs télécoms ont essayé de maintenir leurs commissions pendant quatre à cinq mois. Mais après, ne pouvant plus continuer à subventionner ces commissions vu qu’ils tournaient à perte, des mesures ont été prises.
Au-delà de la réduction des commissions qui nuit au revenu des agents Mobile Money, Sidibé Aboubacar déplore aussi le fait que Wave fait porter la faiblesse de son réseau à la chaîne de distribution. « Quand Wave dit dépôt à 0 Fcfa et retrait à 0 Fcfa, il arrive que certains clients déposent de l’argent dans leur compte à Abidjan et le retirent à Yamoussoukro sans frais. Mais ce qui se passe ici c’est que Wave va retirer des commissions aux points de vente où l’argent a été déposé et retiré. La société estime cela justifié parce que la transaction n’a pas généré de commissions. Elle soupçonne même le point Mobile Money d’être de mèche avec lesdits clients. Nous trouvons cela injuste », confie-t-il.
A terme, si aucune solution pérenne n’est véritablement trouvée par l’Etat pour stabiliser les tarifs, comme le réclament les exploitants de points Mobile Money, ils redoutent de nombreuses pertes d’emplois du fait de points de vente qui fermeront car plus viables. Conséquence, l’inclusion financière reculera également. Les populations n’ayant plus accès à des points de proximité devront parcourir plusieurs kilomètres et engager des frais de transport pour effectuer leurs opérations financières.
Contacté par notre rédaction, Wave n'a pas souhaité répondre.
Muriel Edjo