La transformation numérique est repartie de plus belle sur le continent suite à la pandémie de Covid-19. Les Etats africains se sont engagés à renforcer les infrastructures télécoms et à développer la couverture réseaux. Cependant, pour que ces investissements soient pleinement productifs, encore faut-il que les services proposés restent accessibles aux revenus les plus modestes. C’est pourquoi, en surtaxant ces services les Etats se tirent parfois eux-mêmes une balle dans le pied.
En 2010, le volume fiscal indexé au secteur des télécommunications en Afrique subsaharienne faisait déjà l’objet d’un débat passionné entre les gouvernements et les opérateurs de téléphonie mobile. Les premiers, soucieux d’assurer de nouvelles ressources financières pour le trésor public, n’ont cessé de clamer un juste gain sur un secteur en croissante richesse. De son côté, l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA) n’a cessé d’interpeller sur le danger qu’une fiscalité trop gourmande représente à long terme, non seulement pour la viabilité des sociétés télécoms, mais également pour le développement. Dix ans plus tard, la question fiscale a évolué mais pas en faveur des opérateurs télécoms.
L’Afrique subsaharienne est devenue la région la plus taxée au monde, devant l’Afrique du Nord-Moyen-Orient et l’Asie pacifique.
En 2017, les taxes se sont en effet multipliées sur le marché, suscitées par la croissance enregistrée au fil des ans par le secteur des télécoms qui a su séduire davantage de clients à travers de nouveaux services à valeur ajoutée. L’Afrique subsaharienne était considérée, il y a sept ans, comme la troisième région la plus taxée au monde, après l’Europe centrale et de l’Est et l’Union Européenne, mais devant l’Amérique latine. Selon le rapport « Global Mobile Tax Review 2010/2011» de GSMA et de l’UIT, elle est devenue la première, devant l’ Afrique du Nord - Moyen-Orient et l’Asie pacifique. Les paiements moyens d'impôts représentaient 25% des revenus du secteur. En 2016, le secteur des télécoms a contribué à hauteur de 13 milliards $ au revenu fiscal de l’Afrique subsaharienne. En 2018, cette contribution est passée à 15,6 milliards $. 2020 a toutefois enregistré un recul de 600 millions $ par rapport à l’année précédente.
La fiscalité du secteur télécoms dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne est une combinaison de la fiscalité générale et de la fiscalité sectorielle. La première comprend la TVA standard, l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur le revenu et la sécurité sociale des entreprises et des employés, tandis que la seconde comprend les taxes à la consommation spécifiques au secteur, telles que la TVA sur les services mobiles et les droits d'accise sur les cartes de recharges et les téléphones mobiles.
Menace sur l’inclusion numérique
Si la fiscalité sur les activités de l’entreprise pèse sur la rentabilité des opérateurs télécoms, c’est surtout celle sectorielle qui est la plus préoccupante car elle touche directement au pouvoir d’achat des consommateurs qui sont au cœur de tout le marché télécoms. Si les populations ne peuvent plus souscrire aux services télécoms devenus chers du fait d’une fiscalité importante, les opérateurs télécoms redoutent une chute de leurs revenus.
Cette chute des revenus aura un impact direct sur la rentabilité des sociétés télécoms et par ricochet sur les gains tirés par les Etats. La Banque mondiale estimait en 2019 à près de 85% le nombre de personne vivant avec moins de 5 $ par jour en Afrique subsaharienne. Dans la région, où le taux de pénétration du mobile était de 46% en 2020, l’internet mobile représentait 28% du taux de pénétration d’internet estimé à 34% sur le continent par Hootsuite et We Are Social. Le coût moyen d’un forfait data mobile de 1,5 Gigabit coûtait 6,1 $, soit 6,4% du revenu national brut (RNB) par habitant selon l’UIT. Or selon la Commission du haut débit, un forfait data est jugé abordable lorsqu’il représente 2% du RNB.
Le coût moyen d’un forfait data mobile de 1,5 Gigabit coûtait 6,1 $, soit 6,4% du revenu national brut (RNB) par habitant selon l’UIT. Or selon la Commission du haut débit, un forfait data est jugé abordable lorsqu’il représente 2% du RNB.
Taxer internet, comme le font certains pays comme l’Ouganda qui l’a fixé à 12%, rend le service plus cher et exclut de fait un plus grand nombre de personnes de l’économie numérique. La taxe met également en danger l’activité de plusieurs entreprises comme celles du segment de l’e-commerce ou de la vidéo à la demande.
Selon GSMA, sur les 1,084 milliard de personnes recensées en Afrique subsaharienne en 2020, 303 millions de personnes (28%) étaient connectées à Internet par mobile. 570 millions de personnes (57%) était couvertes par un réseau mobile mais n’utilisaient pas Internet et 210 millions (15%) n’étaient pas du tout couvertes par un réseau mobile. Au total, 495 millions de personnes étaient abonnées à des services mobiles, soit 46 % de la population. Le taux d’adoption du smartphone était de 48%. Une situation que l’Alliance for Affordable Internet (A4AI) explique par la cherté du smartphone. Certains équipementiers télécoms proposent des appareils plus basiques, mais qui restent inaccessibles pour la majorité de la population dans de nombreux pays africains à cause des taxes à l’importation. C’est d’ailleurs conscient de cette réalité que le gouvernement du Tchad a exonéré de taxe pendant cinq ans, depuis le 24 janvier dernier, les importateurs de téléphones pour réseaux cellulaires sans fil (téléphones portables et smartphones de tout type), de machines automatiques de traitement de l’information (ordinateurs et tablettes, fixes et mobiles, de tout type) et des accessoires dédiés.
Obstacle à l’inclusion financière
Devenu au cours des dix dernières années un segment fort des télécommunications, avec plusieurs millions d’utilisateurs et des milliards $ échangés, le Mobile Money est aussi aujourd’hui l’objet d’un intérêt croissant des Etats africains. Il y a quatre ans, quelques rares pays ont cédé à la tentation de taxer cette nouvelle dynamique. C’est le cas de l’Ouganda qui a introduit une taxe de 0,5% sur le retrait d’argent en juillet 2018. La même année, la Tanzanie a fixé la sienne à 1% avant de la réduire à 0,5% en octobre. Et en 2019, le Zimbabwe a décidé de prélever 2% sur la valeur de chaque transaction.
Cependant, la croissance enregistrée par le Mobile Money, renforcée pendant la Covid-19, a fini de convaincre davantage de gouvernements de puiser dans cette manne pour financer la relance économique post-pandémie. La taxe de 0,2% sur les transactions électroniques a ainsi fait son apparition au Cameroun en 2021. Au Ghana, c’est plutôt une imposition fiscale de 0,5% que le gouvernement a institué cette année. Dans ces différents marchés, anciens comme nouveaux, l’imposition fiscale a toujours suscité une forte contestation des consommateurs qui ont dénoncé une augmentation de leurs charges. Au parlement ghanéen, l’impôt sur le Mobile Money a même donné lieu à un affrontement physique entre pro et anti-taxe.
La taxe contestée a permis au gouvernement de certains pays, comme l’Ouganda, d’enregistrer deux fois plus de revenus que ceux attendus (l’Autorité fiscale ougandaise estime que de juillet à décembre 2018, l’impôt a produit 28,3 millions de dollars. Soit 13,5 millions de dollars de plus 14,8 prévus par l’Etat). Mais cette taxe a freiné l’inclusion financière des plus pauvres qui accèdent à divers services depuis leur mobile. La Banque mondiale révèle qu’elle a fait basculer les nantis vers les banques tandis que les populations à petits revenus, qui dépendent des transferts de fonds de la famille pour vivre, ont vu leurs faibles moyens se réduire encore.
La Banque mondiale révèle que cette taxe a fait basculer les nantis vers les banques tandis que les populations à petits revenus, qui dépendent des transferts de fonds de la famille pour vivre, ont vu leurs faibles moyens se réduire encore.
Le Fonds d'équipement des Nations Unies (UNCDF) indique que la taxe a démotivé les consommateurs d’énergie renouvelable hors-réseau, généralement installés en zone rurales, qui avaient pris l’habitude de régler leurs factures par mobile. Cette situation est perçue comme un danger à la rentabilité du marché qui a créé de nombreux emplois dans le pays. Le même scénario peut être transposé au secteur de l’e-commerce ou encore de l’agriculture où de nombreux petits exploitants fermiers peuvent déjà acheter des intrants agricoles, effectuer une micro-épargne, etc., depuis le Mobile Money. Comme dans le segment des services télécoms par mobile, les sociétés télécoms ne refusent pas d’être assujetties à des taxes. D’après GSMA, elles se disent favorables à une taxation efficace du segment du Mobile Money « sans que cela n’entrave inutilement la croissance du secteur et ait un impact négatif sur les groupes marginalisés qui l'utilisent ». L’impôt sur le revenu est privilégié car plus il augmente avec les gains des fournisseurs de services.
Muriel EDJO